Loi DDADUE 5 : les mesures sociales et juridiques
La loi du 30-4-2025 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes, dite « loi DDADUE 5 », transpose en droit français plusieurs textes européens concernant, notamment, le droit social et le droit des affaires. Ces différentes mesures sont entrées en vigueur le 3 mai dernier.

Action de groupe : son champ est élargi depuis le 3-5-2025
En matière sociale, l'action de groupe a été introduite en droit français par la loi 2016-1547 du 18-9-2016 et visait deux domaines, à savoir la lutte contre les discriminations (C. trav. art. L 1134-6 à L 1134-10) et la protection des données personnelles (Loi 78-17 du 6-1-1978 art. 37 et 38). L'article 16 de la loi DDADUE 5 a revu le régime de l’action de groupe pour le mettre en conformité avec le droit européen et l’unifier. Puis, il a étendu son champ d’application en droit du travail. Désormais, l’action de groupe peut être intentée contre tout manquement de l'employeur à ses obligations légales et contractuelles.
Cet article, qui regroupe désormais l’ensemble des dispositions régissant le nouveau régime de l’action de groupe, est applicable aux actions intentées après la publication de la loi, soit depuis le 3-5-2025. Les actions intentées avant la publication de la loi restent régies par les dispositions antérieures.
Engager une action de groupe en droit social
Nouvelle définition
Désormais, l’action de groupe peut être exercée en justice par un demandeur (une association ou un syndicat) pour le compte de plusieurs personnes physiques ou morales, placées dans une situation similaire, résultant d'un même manquement ou d'un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles commis par une personne agissant dans l'exercice ou à l'occasion de son activité professionnelle, sans restriction en matière de droit du travail (art. 16, I-A).
En droit social, l'action de groupe peut être engagée en matière de lutte contre les discriminations, de protection des données personnelles et désormais lorsqu’elle tend à la cessation du manquement d'un employeur ou à la réparation de dommages causés par ce manquement à plusieurs personnes placées sous l'autorité de cet employeur (art. 16, I-C).
Dans quel cas engager une action de groupe ?
L'action de groupe est exercée pour obtenir la cessation du manquement et/ou la réparation des préjudices subis du fait de ce manquement. La procédure de réparation des préjudices peut être individuelle ou collective si le demandeur à l’action le demande (la réparation collective des préjudices est négociée entre le demandeur et le défendeur et un accord est homologué par le juge) (art. 16, III-A-2). Les associations et syndicats peuvent désormais aussi recourir à une médiation pour obtenir la réparation des préjudices individuels (art. 16, III-C).
Qui peut agir ?
En droit du travail, l'action de groupe peut désormais être exercée, au principal ou, conjointement, par (art. 16, I-C-1) :
- les associations agréées à cette fin (la liste sera mise à la disposition du public dans des conditions fixées par un décret à paraître) ;
- les associations à but non lucratif régulièrement déclarées depuis au moins 2 ans justifiant de l'exercice d'une activité effective et publique depuis 24 mois consécutifs et dont l'objet statutaire inclut la défense d'intérêts concernés, pour les seules actions visant la cessation du manquement de l’employeur ;
- les organisations syndicales représentatives de salariés. Les syndicats sont recevables à défendre les intérêts individuels des salariés, et pas seulement les intérêts collectifs de la profession.
Ces personnes peuvent en outre intervenir volontairement à une instance en cours.
Tribunal compétent
Les actions de groupe sont portées devant l'ordre de juridiction compétent pour en connaître (art. 16, V). En matière judiciaire, les litiges engagés en toute matière sont portés devant le tribunal judiciaire spécialement désigné (C. org. jud. art. L 211-15 rétabli).
Conditions d’exercice de l’action de groupe
Mise en demeure préalable pour les seuls manquements en droit du travail
Avant d’engager une action de groupe fondée sur un manquement au Code du travail, le demandeur doit demander à l’employeur, par tout moyen conférant date certaine à cette demande, de faire cesser ce manquement. Dans le mois suivant la réception de cette demande, l'employeur doit en informer le comité social et économique (CSE) et les syndicats représentatifs dans l'entreprise. Ceux-ci peuvent demander à l’employeur d’engager une discussion sur les mesures permettant de faire cesser la situation de manquement alléguée. À l'issue d'un délai de 6 mois à compter de cette demande, l'action de groupe peut être engagée (art. 16, I-F).
Exercice de l’action
Le demandeur qui exerce l’action de groupe pour obtenir la cessation d'un manquement n’a à établir ni un préjudice pour les membres du groupe, ni l'inten-tion ou la négligence de l'employeur (Loi art. 16, II). Lorsque l’action est exercée pour obtenir la réparation des préjudices subis, le demandeur doit présenter des cas individuels au soutien de ses prétentions (art. 16, III-A-1).
Portée de l'action de groupe
Le jugement sur la responsabilité et celui sur l'homologation de l'accord prévoyant une réparation collective des préjudices ont autorité de la chose jugée à l’égard des membres du groupe dont le préjudice a été réparé. Une autre action de groupe se fondant sur le même fait générateur, le même manquement et la réparation des mêmes préjudices que ceux reconnus par le jugement ou l'accord n'est pas recevable (art. 16, IX).
Nouveauté : une sanction civile en cas de faute dolosive de l’employeur
Le juge peut condamner l’employeur reconnu responsable d'un manquement à ses obligations légales ou contractuelles à une amende civile s’il a délibérément commis une faute en vue d'obtenir un gain ou une économie indue et que cette faute a causé un ou plusieurs dommages à plusieurs personnes physiques ou morales placées dans une situation similaire. Le montant de l’amende civile est proportionné à la gravité de la faute commise et au profit que l’employeur en a retiré (art. 16, I-XI). Cette sanction civile s’applique aux seules actions dont le fait générateur de la responsabilité de l’employeur est postérieur au 2-5-2025 (art. 16, XVII-F).
De nouvelles conditions d’accès au registre des bénéficiaires effectifs
Les conditions de consultation des informations mentionnées au registre des bénéficiaires effectifs évoluent (art. 4).
Rappel
Conformément à l'article L 561-46 du Code monétaire et financier, les sociétés commerciales et civiles, les GIE, les associations, fondations, fonds de dotation et fonds de pérennité et les organismes de placement collectif doivent déclarer leur(s) bénéficiaire(s) effectif(s) au registre du commerce et des sociétés (RCS) par l'intermédiaire du guichet unique électronique des formalités d'entreprises tenu par l’Inpi, ces informations étant inscrites au registre national des entreprises (RNE), également tenu par l’Inpi. Cette déclaration doit être faite lors de l’immatriculation de la société ou dans les 30 jours de la modification d’une information concernant le(s) bénéficiaire(s) effectif(s). Les informations relatives aux bénéficiaires effectifs portent sur leur identification (nom, nom d’usage, prénoms, pseudonyme, lieu et date de naissance, nationalité), l’adresse de leur domicile personnel et sur la nature et l’étendue du contrôle qu’ils exercent sur la société ou l’entité et la date à laquelle ils sont devenus bénéficiaires effectifs.
Le bénéficiaire effectif s’entend de la personne physique qui contrôle, directement ou indirectement, une société. Est considérée comme telle la personne physique :
- qui détient, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société ;
- ou exerce, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d’administration ou de direction de la société ou sur l’assemblée générale des associés.
À défaut d’identification possible d’une personne physique à partir de ces critères, le bénéficiaire effectif est le représentant légal de la société. Le bénéficiaire effectif ne peut être qu’une personne physique. Si le représentant légal est une personne morale, le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques qui représente(nt) légalement cette personne morale.
Accès aux informations sur les bénéficiaires effectifs
L’accès au registre des bénéficiaires effectifs (RBE) où sont consignées les informations concernant ces personnes diffère selon le profil du demandeur.
Accès intégral (C. mon. fin. art. L 561-46)
Sociétés ou entités déclarantes et bénéficiaire effectif
Les sociétés ou entités ayant déclaré des bénéficiaires effectifs ont accès à l’intégralité des informations qu’elles ont déclarées sur ces derniers. Elles ont, en effet, l’obligation d’obtenir et de conserver des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs.
La personne physique déclarée bénéficiaire effectif dispose également, depuis le 3-5-2025, d’un accès intégral aux informations relatives aux bénéficiaires effectifs de la société ou de l’entité qui l’a déclarée comme tel.
Autorités éligibles
Certaines autorités compétentes dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBF-FT) (autorités judiciaires, police, administration fiscale, Tracfin, etc.) ont également accès sans restriction, dans le cadre de leur mission, à l’intégralité des données sur les bénéficiaires effectifs.
La loi DDADUE 5 précise que l’accès gratuit à ces informations doit se faire de manière immédiate et directe, et ajoute aux organismes éligibles à cet accès intégral les entités suivantes :
- l’ Agence française anticorruption ;
- les agents habilités de la direction générale du Trésor et les agents des douanes au titre de la mise en oeuvre des mesures restrictives européennes ;
- le Parquet européen ;
- l’Office européen de lutte antifraude ;
- l’ Agence de l’Union européenne (UE) pour la coopération des services répressifs (Europol) et l’ Agence de l’UE pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) lorsqu’elles apportent un soutien opérationnel aux autorités nationales ;
- l’ Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ;
- les autorités des États membres de l’UE homologues des autorités françaises ayant un accès sans restriction aux données sur les bénéficiaires effectifs (à l’exception des autorités homologues de la Cour des comptes et des chambres régionales et territoriales des comptes) ;
- la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ;
- la Commission nationale des sanctions ;
- les agents des services de l’État chargés de la protection des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation ;
- les agents de contrôle de l’inspection du travail et les agents de contrôle des organismes de sécurité sociale ;
- la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes.
Par ailleurs, les autorités compétentes devaient jusqu’à présent communiquer à leurs homologues des États membres de l’UE les informations sur les bénéficiaires effectifs nécessaires à l’accomplissement des missions de ces autorités. Cette obligation de communication est supprimée. Les autorités homologues bénéficient désormais d’un accès direct à ces informations.
Professionnels assujettis à la LBC-FT
Les professionnels assujettis à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT) (avocats, experts-comptables, entre autres) peuvent accéder, dans le cadre d’une au moins de leurs mesures de vigilance, à toutes les informations relatives aux bénéficiaires effectifs.
Depuis le 3-5-2025, les personnes soumises à la LBC-FT dans un autre État membre de l’UE dans le cadre d’au moins une mesure de vigilance associée à ces obligations bénéficient également de cet accès.
Accès restreint : intérêt légitime nécessaire (C. mon. fin. art. L 561-46-2)
Jusqu’en 2024, le public pouvait accéder aux informations sur les bénéficiaires effectifs, mais de façon restreinte. Seules les informations suivantes pouvaient leur être communiquées : identité, mois et année de naissance, pays de résidence (mais pas l'adresse), nationalité, nature et étendue des intérêts effectifs détenus dans la société concernée.
Depuis le 31-7-2024, faisant suite à un arrêt de la Cour de justice de l’UE (CJUE 22-11-2022 aff. C-37/20 et C-601/20) qui a considéré que l’accès au grand public des données sur les bénéficiaires effectifs violait le droit à la vie privée et familiale et le droit à la protection des données personnelles, l’accès à ces données a été restreint (sans que le Code de commerce soit pour autant modifié) aux seules personnes justifiant d’un intérêt légitime.
Liste des personnes ayant un intérêt légitime
Afin de mettre le droit français en conformité avec cet arrêt, la loi DDADUE 5 modifie la liste des personnes présumées justifier de cet intérêt légitime.
Ainsi, depuis le 3-5-2025, toute personne justifiant d’un intérêt légitime pour la prévention ou la lutte contre le blanchiment de capitaux, ses infractions sous-jacentes ou le financement du terrorisme (LBC-FT) peut accéder à certaines informations relatives aux bénéficiaires effectifs. Sont notamment présumés avoir un intérêt légitime :
- les journalistes ;
- les organismes à but non lucratif et les chercheurs universitaires agissant dans le cadre de la LBC-FT ;
- les personnes susceptibles d’entrer en relation d’affaires avec une société et qui souhaitent prévenir tout risque de blanchiment ou de financement du terrorisme ;
- les personnes assujetties à la LBC-FT dans un État non membre de l’UE ;
- les autorités des États non membres de l’UE homologues de celles des autorités nationales (autorités judiciaires, douanes, etc.) ;
- les acheteurs et autorités concédantes dans le cadre de la passation d’un contrat de la commande publique (pour les bénéficiaires effectifs des soumissionnaires) et leurs prestataires extérieurs ;
- les prestataires extérieurs des personnes assujetties à la LBC-FT dans le cadre de leurs obligations de vigilance ;
- les personnes physiques ou morales soumises aux obligations de lutte contre la corruption (loi Sapin II) et les prestataires tiers auxquels elles font appel pour s’y conformer.
Données accessibles
Ces personnes ont accès aux informations suivantes : nom, nom d'usage, pseudonyme, prénoms ; mois et année de naissance ; État de résidence et nationalité du ou des bénéficiaire(s) effectif(s) ; nature et étendue des intérêts effectifs qu'ils détiennent dans la société ou l'entité.
Le 10-7-2026 au plus tard (décret à paraître), ces personnes auront accès à la chaîne de propriété d’un bénéficiaire effectif et aux données historiques.
Demande d’accès
La personne justifiant d’un intérêt légitime doit effectuer sa demande auprès de l’Inpi ou du greffier compétent (greffier du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire statuant en matière commerciale dans le ressort duquel la société ou l’entité est immatriculée au RCS). L’Inpi ou le greffier doit vérifier l’existence de l’intérêt légitime de la personne et statuer sur sa demande. Si le greffier rejette la demande, la personne peut effectuer un recours devant le président du tribunal de commerce ou le juge commis à la surveillance du RCS. L’accès aux informations est gratuit.
Information des bénéficiaires effectifs
L’historique des consultations des données des bénéficiaires effectifs doit être conservé par l’Inpi ou le greffier. Le bénéficiaire effectif dont les données ont été consultées peut donc, par requête adressée à cet organisme ou au greffier compétent, demander à connaître l’identité des personnes concernées.
Toutefois, si ces informations ont été consultées par un journaliste, un chercheur universitaire ou une personne issue d’un organisme à but non lucratif, seule la profession de cette personne peut être communiquée au bénéficiaire effectif. Ni son identité ni, le cas échéant, la dénomination de la personne morale pour le compte de laquelle la consultation a été effectuée ne peut lui être communiquée.
De même, lorsque ces informations ont été consultées par l’autorité d’un État non membre de l’UE compétente en matière de LBC-FT, cette dernière peut demander à ce que son identité ne soit pas communiquée au bénéficiaire effectif aussi longtemps que les besoins de son enquête ou de ses analyses l'exigent, sans dépasser une durée qui sera fixée par décret.
Rapport de gestion des micro-entreprises
Depuis le 1-1-2025, en application de l’ordonnance 2023-1142 du 6-12-2023, seules les sociétés commerciales répondant aux critères de la « petite entreprise » au sens du droit européen étaient dispensées d'établir un rapport de gestion (C. com. art. L 232-1). Pour être qualifiée de « petite entreprise » (C. com. art. L 230-1), la société ne doit pas être une micro-entreprise et ne doit pas dépasser, à la clôture de l'exercice, les seuils d’au moins 2 des 3 critères suivants : 15 M€ de chiffre d’affaires, 7,5 M€ de total de bilan et 50 salariés. En application de cet article, les micro-entreprises (900 000 € de chiffre d’affaires, 450 000 € de total du bilan et 10 salariés) n’étaient pas concernées par cette dispense. La loi DDADUE 5 (art. 8) rectifie cette erreur en modifiant l’article L 232-1 : les micro-entreprises sont bien dispensées, depuis le 3-5-2025, d’établir ce rapport.
Commande publique des JEI
Conformément à l’article L 2172-3 du Code de la commande publique relatif au partenariat d’innovation, sont considérés comme innovants les travaux, fournitures ou services nouveaux ou sensiblement améliorés. Le caractère innovant peut consister dans la mise en oeuvre de nouveaux procédés de production ou de construction, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l'entreprise.
Jusqu’à présent, étaient considérés comme innovants tous les travaux, les fournitures ou les services proposés par les jeunes entreprises innovantes (JEI). Cette disposition, qui leur permettait d’accéder plus facilement à la commande publique, est supprimée par la loi DDADUE 5 (art. 15) compte tenu de sa non-conformité au droit européen.
Nantissement sur actifs numériques L’article 1 de la loi DDADUE 5 adapte le Code monétaire et financier aux exigences du règlement européen « Mica » (règlement UE 2023/1114), en instaurant un régime de nantissement sur les actifs numériques (C. mon. fin. art. L 226-5), inspiré de celui du nantissement de comptes-titres. Ce nouveau régime permettra de garantir des crédits avec des actifs numériques (qui seront, au 1-7-2026, renommés « crypto-actifs »). Un décret (à paraître) doit préciser les modalités d’application de cette nouvelle sûreté. |
Loi 2025-391 du 30-4-2025, JO du 2-5
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